Récit d’émigration : La famille Boehringer, de l’Alsace à la Flandre

Introduction

La publication dans «De Vlaamse Stam» n° 3 de 2023 de l’article « Histoire de la famille Hadermann : de l’Alsace à la Flandre » a incité Claude Boehringer à me contacter pour me signaler qu’il avait lui aussi un ancêtre alsacien au passé guerrier. Une bonne raison pour se pencher sur la généalogie de sa famille.

Le site en ligne « familienaam.be »

Le site « familienaam.be » fournit des informations sur la répartition des noms de famille en Belgique. Les cartes sont basées sur les données du registre de la population belge de 2008 et 1998 respectivement.

Si vous avez affaire à un nom de famille à consonance non flamande comme « Boehringer », il est intéressant d’étudier sa répartition en Belgique.  Et comme on pouvait s’y attendre, leur nombre est très faible : ils sont au nombre de 14 et se répartissent comme suit, tant en 1998 qu’en 2008 :

• Bruges : 4
• Ostende : 2
• Veurne : 1
• Wingene : 3
• Anvers : 1
• Bonheiden : 1
• Vilvoorde : 1
• Steenokkerzeel : 1

L’histoire de la famille Boehringer en Flandre

L’histoire qui suit n’est ni plus ni moins la version primitive de « Suite Française », filmée en 2014, avec Matthias Schoenaerts, d’après le roman d’Irène Némirovsky. Une seule guerre mondiale auparavant, celle de 1914-1918.

Après la guerre franco-allemande perdue de 1870, la France a dû céder le territoire de l’Alsace au nouvel Empire allemand. Elle y a formé avec la Lorraine une province appelée Alsace-Lorraine, qui, avec le statut de « Reichsland », devait être gouvernée depuis Berlin. Ce traité de paix a suscité une vive réaction en France, réaction qui a nourri pendant des décennies des idées de revanche. Ce revanchisme allait à son tour contribuer au déclenchement de la Première Guerre mondiale (cf. Wikipédia).

Le grand-père Joseph Boehringer a été appelé pour être encadré dans l’artillerie en tant que « volontaire » allemand désigné et il a été stationné avec « costume et sac » à Bruges. Il n’y avait aucun recours contre cela. « Deutschland über alles », bien que la famille soit franco-bonapartiste. On parlait français à la maison, allemand à l’école, et à la cour de récréation avec les amis Elsassers (le dialecte local).

Joseph est chargé d’assurer le logement et l’hébergement des troupes. La famille Michiels (où il rencontra une certaine Angèle) connaissait une génération d’hôteliers de l’époque, dans la grande région (Bruges, Sint Michiels, Knokke, Blankenberge, etc.).

Et qu’elle était belle ! cette Angèle, …et en plus c’était de caractère un vrai ange !

Et puis soudain, c’est le 11 novembre. Joseph partait pour son Kaysersberg, et grand-mère Angèle faisait une dépression considérable. Il n’y avait qu’un seul remède : père et mère sautèrent dans la calèche et allèrent vérifier les « lettres de créance » sur place en Alsace. Et oui, c’est devenu un mariage à Bruges, en l’an 1920, le 7 avril.

l’acte de mariage (partim)

Le texte de cet acte se lit comme suit :

« Joseph Boehringer, commerçant, âgé de vingt-cinq ans, né à Kaysersberg le vingt août mil huit cent nonante-quatre, domicilié à Colmar, fils majeur de Laurent Boehringer, maitre ferblantier, âgé de soixante-deux ans, demeurant à Keysersberg, donnant son consentement à ce mariage par acte ci-annexé, et Odile Gindersperger, decédée à Kaysersberg le six juillet mil neuf cent dix-huit d’une part et Angèle Henrichie Simonne Michiels, sans profession, âgée de vingt-un ans, née à Bruges, le vingt-sept novembre mil huit cent nonante-huit, y domicilié, fille majeur de Julien Louis Michiels, fabricant, âgé de cinquante ans, et d’ Emma Marie Van de Genachte, sans profession, âgée de quarante-quatre ans, tous les deux demeurant à Bruges, ci-présent et donnant … …… « 

Les témoins du mariage étaient : Théophile Michiels, commerçant, âgé 60 ans, oncle de la conjointe, et Paul Boehringer, âgé de vingt-trois ans, sans profession, frère du conjoint, le premier demeurant à Bruges et le second à Colmar.

Voici la photo de mariage de Joseph et Angèle, telle qu’elle figure sur le menu de leur fête de mariage.

Il y a eu ensuite un grand repas et un festin avec un menu culinaire exquis de huit plats qui a commencé par des « Huitres de Zélande ». Tout porte à croire que les mariés étaient issus de familles aisées et francophones et que ce mariage « international » pouvait compter sur des parents consentants aux deux frontières du pays.

Joseph et Angèle sont les géniteurs de tous les porteurs de noms « Boehringer » en Belgique. Joseph, chef de chantier, est décédé samedi 18-07-1953 à Brugge, à l’âge de 58 ans. Angèle était âgée de 80 ans et est décédée le 30-12-1979 à Brugge. Le couple a eu trois enfants.

Ci-dessous l’acte de décès de Joseph Boéhringer, plombier. D’après cet acte, il habitait 112 Ronsaertbekestraat et est décédé à 7 heures du matin à Mariastraat 36. Les déclarants sont : Jean Kinds, sacristain, nommé par le conseil d’administration de l’hôpital Saint-Jean, et Raymond Boéhringer, commis, âgé de 28 ans, fils du défunt, tous deux domiciliés ici. L’hôpital Saint-Jean, où Joseph est décédé, a été aménagé en musée après restauration en 1991. Autre détail. Apparemment, l’officier d’état civil a écrit le nom de famille de Joseph comme « Boéhringer », c’est-à-dire avec « accent aigu ».

Joseph Boehringer (1894-1953) – acte de décès

La généalogie de Joseph Boehringer et Angèle Michiels

Branche Boehringer :

• Laurent Boehringer, né le 25-06-1858 à Ingers. Laurent, maitre ferblantier, est décédé le 04-07-1924 à Kaysersberg, à l’âge de 68 ans. Il se marie : (1) avec Odelin Gindersperger, née le 30-07-1850 à Husseren-les-Châteaux et décédée le 06-07-1918 à Kaysersberg, à l’âge de 58 ans ; (2) le 23-08-1919 à Colmar avec Joséphine Herqué, née le 14-03-1857 à Kaysersberg et décédée dans cette ville le 22-01-1949, à l’âge de 91 ans (elle s’est précédemment mariée le 15-01-1880 à Kaysersberg avec Auguste Gruber, né le 18-08-1848 à Rosheim). Sur première demande, l’état civil de Kaysersberg m’a envoyé par la Poste, tout à fait gratuitement, l’acte de décès ci-dessous de Laurent Boehringer. Laurent a été le premier de sa famille à entrer dans la société industrielle, laissant derrière lui l’ère agraire. Il a le profil de l’entrepreneur « pur sang » et le flair pour les affaires. Napoléon 1er avait réussi à briser le monopole anglais sur les importations de métaux blancs au cours de sa série de guerres révolutionnaires. Dans son sillage, l’industrie des boîtes de conserve a connu un essor considérable, si bien que pendant des années, l’Alsace a été la deuxième région productrice de boîtes de conserve (casseroles, emballages de conserves, boîtes à choux, ….). Cela a également permis de réduire l’écart avec les autres entreprises métallurgiques (plomberie, zinguerie,…). Laurent a tout relié, et comme il devait de toute façon monter à l’échelle pour poser des gouttières, il est aussi devenu « schisteur ».  Et comme il n’a pas besoin de beaucoup de sommeil, pourquoi ne pas prendre un restaurant : ce sera « Le Boeuf Rouge » au coeur de Kayserberg. Après la guerre, il le revend pour 13 000 FF.
• Laurent Boehringer, né le 22-03-1821 à Ingersheim. Laurent, vigneron et voiturier, est décédé le 03-02-1906 à Ingersheim, à l’âge de 84 ans. Il se marie le 23-06-1852 à Ingersheim avec Gertude Staehle, née le 04-05-1826 à Wintzenheim et décédée le 30-12-1887 à Ingersheim, à l’âge de 61 ans.
• Laurent Boehringer, né le 08-07-1784 à Ingersheim ; Laurent, garde champêtre, vigneron, est décédé le 29-04-1849 à Ingersheim, à l’âge de 64 ans. Il se marie le 26-11-1849 à Ingersheim avec Marguerite Bettinger, née le 18-12-1784 à Ingersheim et décédée le 02-01-1864, à l’âge de 79 ans.
• Laurent Boehringer, né le 13-04-1731 à Ammerschwihr. Laurent est décédé Laurent est décédé le 30-07-1786 à Ingersheim, à l’âge de 55 ans. Il épouse : (1) le 08-11-1751 à Katzenthal avec Marie Madeleine Schwindenhammer, née le 29-08-1722 à Ingersheimen décédée en 1777, à l’âge de 55 ans ; (2) le 09-06-1777 à Wintzenheim avec Jeanne Hert, née le 04-07-1745 à Wintzenheim et décédée le 19-02-1806, à l’âge de 60 ans.
• François Joseph Boehringer, né le 21-04-1682 à Ammerschwihr. François est décédé à Ammerschwihr. Il se marie le 22-10-1728 à Ammerschwihr avec Catharine Zueschmit, décédée le 23-12-1734 à Ammerschwihr.
• Jean Jacques Boehringer, né à Ensisheim. Il épouse Anne Catharine Neubauer le 14-11-1667 à Ammerschwihr.

Laurent Boehringer (1858-1924) – acte de décès à Kaysersberg

La branche des Michiels :

• Julien Louis Michiels, né le 20-11-1869 à Brugge. Julien, boucher, est décédé le 13-02-1954 à Brugge, à l’âge de 84 ans. Il se marie le 21-04-1897 à Brugge avec Emma Vande Genachte, née le 18-12-1875 à Brugge et décédée le 17-03-1957 à Brugge, à l’âge de 81 ans.
• Louis Alexander Michiels, né le 05-1-1823 à Brugge. Louis, boucher, est décédé le 06-12-1895 à Brugge, à l’âge de 72 ans. Il se marie le 19-09-1851 à Brugge avec Marie Thérèse Baete, née le 16-11-1833 à Brugge et décédée le 05-04-1908 à Brugge, à l’âge de 74 ans.
• Clemens Franciscus Michiels, né le 13-11-1801 à Brugge. Clemens, flankeur/abatteur, est décédé le 15-02-1844 à Brugge, à l’âge de 42 ans. Il se marie le 30-05-1823 à Brugge avec Vitalia Coleta Pattyn, née le 27-04-1798 à Brugge et décédée le 26-09-1862, à l’âge de 64 ans..
• Joannes Michiels, né le 10-01-1761 à Brugge. Joannes, boucher, est décédé le 19-09-18004 à Brugge, à l’âge de 45 ans. Il se marie le 03-10-1785 à Brugge avec Francisca Callenaere, née le 07-03-1766 à Brugge et décédée le 09-04-1845, à l’âge de 79 ans.
• Joannes Michiels, né le 19-12-1724 à Brugge. Joannes, boucher, est décédé le 29-12-1790 à Brugge, à l’âge de 66 ans. Il se marie le 03-08-1749 à Brugge avec Joanna Françoise Becu, née le 02-04-1729 et décédée le 22-02-1800 à Brugge, à l’âge de 70 ans.
• Henri François Michiels, né et baptisé le 17-01-1666 à Brugge (Sint-Salvator). Henri est décédé le 05-10-1731 à Brugge (Sint-Anna), à l’âge de 65 ans. Il épouse : (1) le 27-11-1694 à Bruges avec Micheline Verpitter ; (2) le 05-07-1717 à Bruges avec Joanna Sery, décédée le 10-12-1721 à Bruges (Sint-Anna) ; (3) le 02-02-1723 à Bruges avec Catharine Vandycke, née le 15-07-1686 à Bruges et décédée le 17-05-1769, à l’âge de 82 ans.
• Fredericus Michiels. Il épouse Joanna Martens le 29-12-1658 à Brugge (paroisse Sint-Salvator), inhumé le 31-07-1667 à Brugge, paroisse St.-Jacobs, 1er arrondissement. Dans les actes de naissance des 5 enfants de ce couple, le nom de famille de la mère est écrit comme suit : « Martens », « Marhitons », « Margatens », « Margetons » et « Marghetos ». Cela n’a rien d’étonnant : à l’époque, le nom de famille de la mère était considéré comme secondaire. Jusqu’en 1600 environ, à Bruges, les actes de naissance eux-mêmes ne mentionnaient pas du tout le nom de la mère. Et par la suite, il a souvent été corrompu.

Épilogue

Le cours de la vie est souvent déterminé par des coïncidences. L’amour véritable, le sentiment profond d' »aimer » surmonte tout. Ainsi, il aura fallu la Première Guerre mondiale pour que Joseph Boehringer, originaire de Kaysersberg en Alsace, s’unisse pour la vie à Angèle Michiels, originaire de Bruges, la Venise du Nord.

L’histoire alsacienne a toujours été chère à la famille belge Boehringer et a laissé des traces chaleureuses. A tel point qu’après ses études à la VUB, Claude Boehringer s’est rendu à Strasbourg chez sa tante Laure Boehringer à l’Université Pasteur pour y suivre avec succès des études de psychologie économique.

Cet article a été rendu possible grâce à la coopération très appréciée de Claude, qui m’a donné de nombreux détails inspirants.

Frans De Rycke, Knokke-Heist, Belgique, le 15 octobre 2023.

Cet article « De familie Boehringer : van de Elzas naar Vlaanderen » a été publié par « Familiekunde Vlaanderen » (Société flamande de généalogie) dans « Vlaamse Stam » 2024 no 1, du 15-02-2024.

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