Les maisons alsaciennes (4): exemple de transmission lors d’une donation

Lorsque l’on parle de maison alsacienne, cela évoque, pour la plupart d’entre nous, une maison à colombage. Cependant, l’Alsace est multiple, les habitations sont aussi diverses que les lieux dans lesquelles elles sont implantées. La majeure partie de l’habitat rural est à colombage dans les plaines, à pierre dans les régions montagneuses ou mixte dans les zones de transition. Il faut distinguer le Sundgau du Nordgau dont la séparation remonte aux premiers rois carolingiens, successeurs de Charlemagne, et ne pas oublier qu’avant la Révolution, le territoire était morcelé en une multitude de seigneuries et de domaines ecclésiastiques. 

L’histoire de l’Alsace et de son architecture sont, depuis toujours, étroitement liées. La pluralité culturelle, sociale, religieuse et politique en Alsace fait que l’architecture des lieux d’habitation est très contrastée, que ce soit en milieu rural ou en ville.

Le sujet est vaste, aussi je vous propose de l’aborder en plusieurs parties :
·       Un peu d’histoire…
·       Les principaux types d’habitat
·       Maison de plaine / maison de montagne
·       Exemple de transmission : description d’une maison lors d’une donation

L’architecture traditionnelle est le témoignage de la diversité des cultures et des modes de vie. Elle est un patrimoine à préserver et à transmettre.

Toutes les modestes propriétés de mes ancêtres de Kochersberg ont disparu au fil du temps. Il ne me reste qu’une photo jaunie d’une ferme vers 1800 située à Eckbolsheim, village de mes aieux, qui appartenait à Jacques.

Je n’ai pas encore trouvé d’éléments concernant la photo ci-dessous, ni lieu, ni date, ni noms.

Collection personnelle C.L-D.

Cependant, j’ai connu une ancienne ferme familiale qui appartenait alors à mon grand-oncle et à ma grand-tante. La dernière fois que ma sœur et moi avions poussé la porte de la clôture, traversé la cour et étions rentrées dans la maison, c’était à l’occasion de la présentation de nos conjoints respectifs. Depuis l’entrée, un escalier raide montait vers la porte du logement de Marguerite, célibataire. A gauche, on accédait à la salle à vivre de son frère veuf, Alfred (Vetter). Tout au plaisir de nos retrouvailles lors d’un repas traditionnel et gargantuesque, je n’avais pas fait très attention à l’environnement. Je me souviens que la pièce était sombre, basse de plafond, avec des poutres apparentes et des petites fenêtres sur la gauche côté cour et dans le fond, côté rue. La table, peut-être agrandie pour l’occasion, occupait une large place sur la droite. Cette maison à colombage, acquise par la mairie qui avait besoin du terrain, a été détruite il y a des années.

Il est toujours passionnant de découvrir dans quel environnement vivaient nos ancêtres. Quand les souvenirs sont flous ou que les maisons ont malheureusement disparu, il reste des écrits que l’on peut lire avec intérêt. Les contrats de mariage et les inventaires après décès sont particulièrement instructifs. On y trouve de façon détaillée la description des biens immobiliers et mobiliers. Je vous propose en exemple une donation entre vifs lors d’un contrat de mariage à Eckwersheim en 1862.

Dans le Kochersberg, les parents faisaient donation à leur fils le jour de son mariage moyennant l’attribution, à leur bénéfice, d’un revenu, leur maintien dans les lieux et le dédommagement des autres frères et sœurs de la maison et des terres.

Ainsi, le 6 septembre 1862, ont comparu mes arrière-arrière-grands-parents Jacques, maçon, et Marie-Catherine (*) devant Me Wasmer, notaire à Brumath afin de signer leur contrat de mariage.

Jacques, domicilié à Eckwersheim est fils majeur de Valentin, maçon, et de Dame Eve. Sa future épouse, Marie-Catherine, demeurant à Berstett, est fille majeure de Jacques, journalier et de Dame Anne.

L’article premier précise qu’ils vont se marier sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, tel qu’il est établi & défini par les articles 1498 et 1499 du code Napoléon.

L’article deux note qu’à la dissolution de la communauté, les époux ou leurs héritiers, reprendront respectivement leurs habits, hardes, linge et bijoux à l’usage personnel de chacun d’eux, en remplacement de ceux qu’ils auront possédé au moment du mariage.

L’article trois énumère les apports de la future épouse : une somme de deux cents quatre-vingt francs deniers comptants ; celle de cents francs à elle due par ses père et mère ; un lit monté composé d’un bois de lit de sapin, paillasse, paillasson, lits de plumes de dessus et de dessous, deux traversins, deux taies, deux layettes, un drap, un rideau de siamoise estimés à quatre-vingt francs. Deux taies, quatre layettes à dix-huit francs et un drap à quatre francs, complètent l’apport.

L’article quatre énumère les apports en argent du futur marié : cent francs en deniers comptants provenant de ses épargnes.

L’article cinq inventorie ce que les parents de la future mariée ont reçu comme avancement d’hoirie en acceptant deux draps, douze nappes dont trois de toiles de chanvre, trois de toile de chanvre court et six de toile d’étoupe, douze essuie-mains, une armoire de sapin à deux battants. Le tout, estimé à cinquante-six francs, sera livré le jour de la célébration du mariage.

L’article six indique que les parents du futur marié ont fait donation entre vifs et irrévocable à titre de préciput et hors part en s’obligeant solidairement entre eux à garantir contre troubles, dettes, privilèges et hypothèques, au futur époux, leur fils, ce acceptant : d’une maison d’habitation à simple rez-de-chaussée avec cour, grange, étable, jardin potager et autres dépendances, sise à Eckwersheim, rue im Holzfeld, auf dem Dorfgraben, section xxx 142 & 143

Extrait du contrat de mariage 1862 – collection personnelle

La présente donation comprend également deux pots économiques avec lunettes et couvercles, une voiture avec plancher, ridelles et chaînes, une charrue, une herse, un tarare, un dévidoir et un rouet à dévider.

Nous apprenons que la maison avait été construite par Valentin, le père du marié, sur ses propres deniers. Le terrain avait été acquis auprès d’un farinier de Strasbourg par contrat sous-seing privé.

Cette donation doit satisfaire aux charges et condition suivantes :

  • Les donateurs ont la jouissance viagère des objets mobiliers cités précédemment,
  • Le donataire doit régler la moitié des contributions sur l’immeuble, l’autre moitié étant réglée par les donateurs jusqu’à l’extinction de leur droit d’habitation,
  • De laisser aux donateurs viagèrement le droit d’habitation
  • De payer les sommes improductives d’intérêt aux autres héritiers de Valentin. Les sommes et les échéances sont précisées dans le contrat.

Ci-dessus, deux extraits sur la jouissance accordée – collection personnelle

Pour baser la perception des droits d’enregistrement, l’immeuble est évalué à un revenu annuel brut de soixante francs.

Ensuite, dans l’article sept, sont définies les conditions de l’ameublissement, puis, dans l’article huit, celles en cas de décès ou de non existence d’enfants issus de l’union.

Avant les signatures du contrat, sont donnés les noms des témoins, le montant des frais… Une lecture et interprétation a été faite en langue allemande.

Le recensement de 1866 indique bien les que parents du marié, les mariés et leur fille logeaient tous dans la même maison à Eckwersheim – Obersern. Valentin et Jacques sont tous deux ouvriers maçon et chefs de ménage. La commune avait alors 966 habitants.

Eckwersheim – Carte état-major 1820-1866
Source : Géoportail
Eckwersheim – plan
Source : Géoportail

Par opposition au droit d’aînesse, c’est le Droit de Juveignerie qui prévaut en Alsace, privilège de la transmission au cadet.

(*) Marie-Catherine était la tante de Désirée Lobstein, première danseuse à l’Opéra de Paris, un autre monde… Vous pouvez lire un résumé de mes premières recherches à son sujet ici.

Christine L-D., membre du CGA, section Île-de-France

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